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[fiche de lecture] Vers davantage d'innovations publiques par le design ?


Suite à la lecture d'une publication scientifique des chercheurs Jean-Marc Weller et Frédéric Pallez sur les "formes d'innovations publiques" et plus particulièrement celles portées par le design, je vous fais part de quelques éléments de synthèse intéressants pour ce qui nous intéresse, habiter le territoire, c'est-à-dire les usages, pratiques et partages qui participent de la constitution du sentiment d'habiter un territoire.

On peut y lire les éléments suivants :
- les formes d'innovations publiques ayant pour objet l'Espace (aménagement d'un espace public par exemple) ou la participation (mobilisation des habitants, usagers... dans le cadre d'un projet public) sont actuellement en fort déclin en terme de représentativité de l'innovation publique en France ; 

- au contraire, les formes d'innovations publiques ayant un rapport avec une refonte organisationnelle ou une transformation managériale au sein de l'administration sont en constante croissance, 

ce qui nous laisse à penser que ce qui touche le quotidien des professionnels de la Fonction publique est sans doute plus parlant et révélateur d'une tendance de fond, le besoin de concilier optimisation/réduction budgétaire avec efficience face aux objectifs demandés par l'Élu (et indirectement par l'habitant) et quête d'un renouveau de sens de ce qu'être "agent public". 

Une hypothèse pourrait être soulevée : la nouveauté produite par la posture méthodologique du design et la volonté de la "mettre à toutes les sauces" et dans tous les contextes, a pu faire oublier la réelle complexité de l'objet lui-même, renvoyant, au-delà de la technique, à des notions plus politiques et philosophiques que peut-être la participation face aux différentes formes de la démocratie ou à celle de "l'espace public" souvent envisagé à la fois comme un espace urbain, la Rue, ainsi que comme espace d'expression, de mise en capacités... 

Ainsi, il nous semble important de soulever le besoin de questionner la raison la raison de l'emploi souhaité du design, sur le fond comme la forme, dans la recherche d'innovations publiques, afin que celui-ci soit au service d'une raison d'être, d'une mission et de fondamentaux partagés, et non comme simple "nouveauté technicienne". A Prima Terra, nous cherchons à questionner le sens lors de chaque projet, en organisant notamment des temps préparatoires avec les élu.e.s et décideurs sur la dimension profonde de l'innovation souhaitée.


- On observe également la diminution sensible depuis 2013 du nombre d'innovations publiques par le design, comme illustré sur ce visuel.



En effet, nous observons ici un possible "essoufflement" de l'emploi du design pour l'innovation publique. Il semblerait, d'après les auteurs, que "l'effet nouveauté" ayant pris son envol surtout à partir de 2009 soit issu du travail conséquent de défrichage et d'acculturation par ses réseaux et promoteurs phares que sont la 27ème Région, la FING ou la Cité du Design de St Etienne.

Il nous semble intéressant de questionner, comme Prima Terra l'a réalisé il y a plusieurs années le rôle potentiellement jouable par le design et ses acteurs mais aussi la limite de cette posture méthodologique qu'est le design, pouvant permettre d'initier une dynamique nouvelle dans la Fonction publique, insuffler un regard "orienté utilisateur" mais aussi faciliter la mise en place de nouvelles pratiques mais ne pouvant en aucun cas remplacer les profils, pratiques et approches des opérateurs en place par de seuls designers. 

En effet, les équipes en place ont certes besoin d'agents facilitateurs que peuvent représenter les designers seuls, mais ont aussi besoin de développer une autonomie suivant le départ de ces derniers, en ayant à disposition des formations, des méthodes et des outils de déclinaison opérationnelle de l'innovation produite.

A Prima Terra, nous partons du principe que chaque projet doit être abordé par au moins trois composantes, présentes au sein de notre équipe : le design, pour initier, faciliter et traduire les représentations partagées, l'Espace, pour incarner physiquement, virtuellement, socialement, culturellement ... le changement en cours et le management dans la complexité, qu'il soit d'ordre de l'analyse sociologique, du développement local ou de la déclinaison des politiques territoriales.


- Ainsi, la publication révèle, face à ce constat, l'intégration de plus en plus prégnante d'autres disciplines aux équipes de designers, en sciences sociales, en gestion, en techniques spatiales ... comme l'indique le visuel ci-dessous.



Il nous semble intéressant de questionner ainsi comment, face au cloisonnement actuel des compétences, notamment des collectivités (gestion propre au service, logiques servicielles par service, comme la culture, la voirie...), mais aussi face aux silos organisationnels que l'on retrouve aujourd'hui de façon courante dans ces dernières (culture pour la commune, économie pour la communauté de communes par exemple) mais aussi à l'échelle de l'Etat (ministère de l'éducation nationale et ministère de l'enseignement supérieure, de la recherche ou encore Culture et Communication et Economie de l'autre ... alors que les deux sont intimement liés), les possibilités offertes pour mettre en place, de l'intérieur des équipes transversales, permettant l'innovation publique !

Pour nous, à Prima Terra, l'innovation peut et doit venir de l'intérieur comme de l'extérieur, à travers la mise en place de projets, formant ensemble processus, en s'appuyant non pas sur les consignes internes mais sur les ressources et les dynamiques externes, passant d'une collectivité (administrative) imposée à une collectivité instituée par l'action, le projet.

Il nous semble également important que l'ensemble de ces projets puissent se nourrir les uns des autres, dans une approche propre à l'école de pensée des "Créativités et Territoires", où le regard créatif, la spontanéité, la rencontre impromptue auraient autant de place au quotidien que le Projet, débattue, questionnée sans cesse par l'action audacieuse et convergente d'acteurs variés, issus du territoire mais aussi d'ailleurs.

Ainsi, nous pensons que la Territoire ne peut se construire que par la Pensée et l'Action simultanée, formalisées par des relations organiques (cultivant les opportunités, les métissages d'idées, de projets et de disciplines) et non plus mécaniques, où la logique de gestion ne serait plus la finalité.




- Nous pouvons lire que ce qui ressort est bien une grande majorité des projets accordées et incarnés par un lieu, un territoire et non pas un sujet général, permettant d'envisager le travail en commun de façon habitante, que l'on soit ou non du territoire ...
Cela participe ainsi d'une réflexion sur les raisons et les possibilités qu'offrent néanmoins l'innovation publique par le design, au nombre de quatre tendances, qui doivent être systématiquement questionnées lors du montage d'un nouveau projet à caractère potentiellement innovant.


La première est celle de l'entrée par le quartier, un village ... renvoyant à l'image de l'immédiateté habitante, à l'espace vécu, du quotidien.
La seconde est celle de l'équipement, posant question des fonctions (et des usages !) que peuvent porter des biens matériels publics. Le territoire est alors appréhendé par l'entrée "des lieux et services d'accueil", renvoyant notamment à la question de l'accessibilité des services publics. 
La troisième est de celle de la transformation organisationnelle de l'administration publique, allant des lieux de travail au processus de décision, questionnant ainsi les postes, rôles et responsabilités que doivent demain porter les opérateurs publics. Ici, c'est l'enjeu de la coordination entre les acteurs publics et privés du territoire qui est soulevé, renvoyant à la notion "d'écosystème relationnel et partenarial" développée par Prima Terra.
La quatrième, enfin, est celle de la relation du Public avec le public, sans relation immédiate avec le territoire. Il s'agit ici de questionner les interfaces, les possibles, les données... en mobilisant la société civile, organisée ou non, autour de problématiques davantage de l'ordre de l'Etat et de ses missions instituées.
Enfin, l'auteur conclut sur deux points : "l'ampleur du phénomène et sa pérennité", notant notamment la fourche du mouvement de fond en deux tendances, l'une portée par l'approche managériale de l'optimisation des ressources et des impacts (ayant le risque de n'être que la suite de modes comme la Qualité Totale, le Six Sigma...), l'autre orientée vers une profonde vision méthodologique ET politique de la transformation publique.

Le second constat est celui de la qualité du phénomène, révélant une évolution actuelle des objects de travail du design public et une transformation possible de la méthodologie du "design de services publics" à celle "d'un design de processus", beaucoup plus englobant et complexe mais bien plus efficient sur le long terme pour les territoires !

Prima Terra souhaite, face à ces constats, poursuivre la mise en place et l'animation d'un écosystème coopératif de solutions, initiatives et dispositifs dédié à l'exploration de nouveaux espaces de coopération, par la Recherche, l'Accompagnement et la Formation, en France et dans le monde francophone.

Si vous souhaitez poursuivre la discussion et engager une réflexion-action à l'échelle de votre territoire, de votre organisation ou des liens possibles avec les autres acteurs, publics et privés, contactez-nous !


Pour aller plus loin et lire l'article : https://www.cairn.info/revue-sciences-du-design-2017-1-page-32.htm


par Alexis Durand Jeanson