Rencontre d'Alexis Durand Jeanson avec Monsieur Hugues Bazin, chercheur indépendant en sciences sociales, du Laboratoire d'Innovation Sociale par la Recherche-Action, qui co-construit avec nous un programme pluriannuel sur la maîtrise d'usage, la "rue marchande" et la communauté d'éco-recycleurs (biffins, ressourceries, Emmaüs, Cafés Repair, Puces...).
Si vous souhaitez des infos sur ce programme de projets, n'hésitez pas à le contacter directement pour en parler !
www.recherche-action.fr/hugues-bazin - bazin@recherche-action.fr
Un article proposé par Hugues Bazin, avec la libre intégration de visuels illustratifs par Via Paysage.
Introduction
Les sciences sociales ne se conçoivent pas seulement dans le
secret des laboratoires universitaires et ne s’apprennent pas uniquement dans
l’alcôve des bibliothèques, c’est un processus autant intellectuel que situationnel,
une compréhension des questions sociales autant qu’une démarche engagée en
société.
La recherche-action enracine cette conception au cœur de la
réalité humaine. C’est une parole en acte, une pratique avant d'être un
discours. Elle ne craint pas les situations complexes. Son mode d’implication
offre la capacité de tirer un savoir des pratiques sociales et d’accéder ainsi
à la compréhension d’un fait social dans la totalité de ses composantes.
Cela
conduit au principe que la transformation provoquée par une action peut être
source d'une connaissance qui sera immédiatement réinvestie en situation dans le
processus en cours. C’est une manière d’indiquer que les domaines de l’action
et de la recherche ne sont pas séparables.
C’est une connaissance « par »
et « pour » l'action qui informe ce qu'elle décrit dans une relation
circulaire.
La recherche-action n’est pas de la recherche et/ou de
l’action, elle est dans cet aller-retour qui amène à sortir et retourner à
l’action.
Elle s’incarne dans la posture hybride de l’acteur-chercheur qui se
situe ni comme acteur, ni comme chercheur mais dans cette boucle. Effectivement,
le premier porteur d’une recherche-action fait déjà partie en tant qu'acteur de
son de champ de recherche (fielworker),
il est acteur avant d'être chercheur, puis développe une réflexivité où il se
prend lui-même et la situation vécue comme matériaux de recherche.
La recherche-action se distingue pour cette raison à la fois
de la « recherche positiviste »[1]
qui sépare la posture de recherche de l’implication en situation et de « l’ingénierie
de projet » qui sépare la posture de l’expert du praticien.
Évitant la
coupure méthodologique, sectorielle ou disciplinaire, la recherche-action est à
la fois une pensée qui relie et une mise en lien qui produit de la connaissance.
Cette « éthique de reliance » pour reprendre la terminologie d’Edgard
Morin[2]
aborde le pragmatisme de l’intelligence sociale[3] et
la science de la complexité[4]
comme les deux faces d’une même réalité processuelle.
La réflexion est donc systématiquement mise en œuvre dans le
dispositif d'action tout en gardant une visée pratique qui tente de répondre le
plus justement possible aux problèmes posés concrètement. C’est en cela une action
associée à une stratégie qui nourrit une science de la pratique ou « praxis » :
une action informée par une théorie pratique qui, en retour, informe et
transforme cette théorie dans une relation dialectique.
Dans ce mouvement
d’autoformation, l'acteur-chercheur accroît son niveau de compétence. Il prend
conscience de sa capacité d'auto expertise et de son rôle historique d'orienter
le cours des événements.
Nous allons présenter plusieurs dispositifs représentatifs
du champ contemporain d’implication et d’application d’une démarche de
recherche-action : formation par la recherche-action, laboratoire social. Nous
envisagerons ensuite comment ce « tiers espace » social et scientifique se
conçoit comme une « architecture fluide ».
Tiers espace scientifique et laboratoire social
La recherche-action se montre pertinente partout où l’humain est au centre des préoccupations
comme acteur et auteur de changements et de connaissances. Elle prend
logiquement toute sa place dans les domaines d’activité privilégiant le
développement humain et sa créativité : l’éducation, le développement local et
social, la santé, le travail social, l’action culturelle, l’éducation
populaire, l’économie solidaire, l’innovation sociale, etc.
Nous pouvons
inclure le domaine architectural, c’est la proposition de notre contribution
que nous développerons en dernière partie.
Ces domaines d’application de la recherche-action appartiennent
le plus souvent à champ d’activité appelé « tiers-secteur ». On pense
évidemment au milieu associatif, coopératif et mutualiste et au champ de
l’économie sociale et solidaire. Mais nous n’indiquons là que des statuts, des
logiques sectorielles hétérogènes, parfois contradictoires. En outre, quelle
serait la définition d’un « tiers-secteur scientifique » ? Il ne
saurait se réduire aux chercheurs et aux recherches travaillant « dans »
ou « sur » le tiers-secteur socio-économique.
L’analogie du tiers-secteur scientifique avec le tiers-secteur
économique ne semble donc pas totalement probante bien qu’ils se croisent sur
des aspects méthodologiques et éthiques : la dimension collaborative, le
souci d’un fonctionnement démocratique, la dé-hiérarchisation des savoirs « savants »
pour une réappropriation « profane », la réponse à des besoins
sociaux et la capacité à élaborer des alternatives.
Mais le tiers-secteur scientifique
n’est pas une position intermédiaire, c’est une forme hybride. C’est un espace
qui se définit par le milieu (une posture liée à un mode d’implication), non
par ses bornes (un statut ou un métier
lié à un domaine d’application).
La notion de « tiers
espace » serait alors plus en mesure que « tiers-secteur » de définir
ce champ d’activité.
La formation par la recherche-action, la recherche
collaborative, le laboratoire social sont représentatifs de ces formes
d’hybridation qui « poussent du milieu ».
Nous allons présenter ci-dessous ces champs d’implication et d’application
de la recherche-action qui témoignent en France de la vivacité et de la variété
d’un tiers espace scientifique.
Les formations par la recherche-action
Les ateliers coopératifs
Les ateliers coopératifs sont une déclinaison du caractère
instituant de la formation en recherche-action. Ils prennent différents énoncés
à l’instar des ateliers coopératifs de recherche-action (ACORA)
impulsés par Christian Hermelin[5] .
Le
principe est de s’appuyer sur les dynamiques en atelier pour favoriser
l’émergence d’un « chercheur collectif ».
"Faire culture autrement, espaces numériques et recherche-action", ©Parcoursnumeriques.net |
L'atelier offre une unité de temps, de lieu et d'action avec
un rythme de rencontres et se donne un objet limité, défini à partir des
pratiques communes aux membres. Ces contraintes contribuent à structurer la
conduite de recherche. Les réunions d’acteurs autour de problématiques communes
amènent dans un temps donné à une production collective qui se finalise par un
écrit de recherche.
Le chercheur collectif est un groupe-sujet de recherche
dépassant l’addition des postures socioprofessionnelles pour construire une
position collective négociée tout en permettant à chacun de se réapproprier le
fruit de ce travail collectif. « Il existe un rapport étroit entre la production
de connaissances et la capacité d'un groupe, d'une classe sociale, d'un
ensemble professionnel, de se produire comme collectif, c'est-à-dire de se
poser à la fois comme sujet, mais aussi comme réalité sociale à reconnaître »[6].
Enfin les ateliers coopératifs peuvent s’insérer dans des
configurations plus vastes permettant de partager leurs travaux : des « chantiers »
liés à d’autres dispositifs ou des « forums » ouverts à un public.
La formation-action
La « formation-action » ou « action learning »
est une manière d’amener la recherche-action dans les milieux
sociaux-professionnels, généralement à la demande des sites de travail pour
répondre à un besoin spécifique.
La formation-action s’apparente à des
techniques de management lorsqu’elle est tributaire des contingences
socio-économiques et organisationnelles. Mais elle peut devenir une
recherche-action lorsque devient centrale la nécessité de lier la connaissance à
une transformation. Inversement une recherche-action peut intégrer un moment de
son processus un module de formation-action pour développer une expérimentation
(voir « laboratoire social »).
L’« apprentissage expérientiel » est l’une de ces
passerelles entre recherche-action et formation-action. Son principe « agir
pour comprendre, comprendre pour agir » s’appuie sur des cycles alternant
action et réflexion initiés par David Kolb[7] à
la croisée des travaux antérieurs de John Dewey et Kurt Levin : partir de l’expérience
concrète, puis l’observation réfléchie, puis la conceptualisation abstraite,
puis l'expérimentation active pour revenir à l’expérience concrète.
Les laboratoires sociaux
Le laboratoire social décrit le dispositif qui combine les
champs d’application de la recherche-action, de la formation-action et de
l’expérimentation sociale. Une acception large considère « laboratoire
social » toute situation sociale singulière ou originale dont on peut
extraire une connaissance qui nous éclaire sur des questions de société.
L’approche
scientifique pour dégager des enseignements généraux d’une situation par
définition particulière doit réunir plusieurs conditions :
- La situation doit être suffisamment délimitée dans un continuum espace-temps pour en cerner toutes les relations internes (un quartier ou même le coin d’une rue peut offrir le cadre d’un laboratoire social, difficilement toute l’agglomération).
- Le groupe concerné doit atteindre une masse critique pour que le jeu d’interactions provoque une forme systémique, cela ne dépend pas uniquement du nombre de personnes, mais aussi du type de rapports sociaux (un groupe restreint en conflit interne avec son institution peut transformer celle-ci en laboratoire social, c’est le principe de l’analyse institutionnelle).
La recherche-action développe ces critères sous l’angle
spécifique d’une recherche impliquée. Le laboratoire social n’est pas déterminé
par la conception de l’intervenant professionnel. Ce n’est pas à lui de dire
quand et où une situation devient laboratoire social, il ne peut qu’en
faciliter l’émergence. Dans ce sens, un atelier coopératif peut aider à la
constitution d’un chercheur collectif majoritairement composé de non
professionnels de la recherche.
C’est alors dans la relation circulaire de ce
chercheur collectif avec un contexte social que se forme le laboratoire qui devient
une entité sociale nouvelle et autonome se prenant elle-même comme matériaux de
recherche.
Le chercheur collectif est une manière de répondre au triple
constat posé par le laboratoire social :
- L’addition des intelligences individuelles ne suffit pas pour résoudre les problèmes sociaux, il est nécessaire de favoriser le développement d'une intelligence sociale
- Les dispositifs classiques sont absents ou inadéquats pour prendre en compte la complexité des situations contemporaines, il est nécessaire de concevoir de nouveaux modèles et outils de recherche et d’action selon une forme collaborative.
- Sortir de l’injonction de l’efficacité, de la communication, du résultat induit dans la commande institutionnelle par une logique de marché concurrentiel dans laquelle sont mis les porteurs de projet.
La fabrication d’un laboratoire social comporte ainsi
plusieurs dimensions :
-
Mise en place d’un atelier coopératif et
élaboration d’un chercheur collectif qui participent d’une communauté de
pratiques et d’expertises nourrissant un corpus de connaissances.
-
Cycle de formation-action facilitant la
mobilisation et le réinvestissement des compétences en situation dans les
cadres socioprofessionnels.
-
Expérimentation sociale pour valider de nouvelles
configurations collectives et poser un référentiel dans le champ d’activité
concerné. L’expérimentation emprunte ses outils à la méthodologie positiviste
comme processus itératif de correction constante d’hypothèses confrontées aux
résultats d’actions[8].
Évidemment, de nombreuses combinaisons sont possibles entre
ces différentes étapes pour correspondre le mieux aux situations. Nous
comprenons que le laboratoire social se situe principalement dans le champ
instituant et pour cette raison est mal reconnu par l’institution comme unité
de recherche.
À la différence des Collèges Coopératifs, il ne s’adosse pas sur un réseau universitaire pour valider une formation ou une expérimentation. Il s’appuie sur un tiers espace de l’activité humaine et revendique à ce titre la pleine correspondance avec un tiers espace scientifique, notamment par la légitimation de la posture hybride de l’acteur-chercheur. Cela n’empêche pas le laboratoire social de négocier suivant les contextes un partenariat collaboratif pouvant valoriser la connaissance issue de l’expérimentation sociale et encourager l’innovation.
À la différence des Collèges Coopératifs, il ne s’adosse pas sur un réseau universitaire pour valider une formation ou une expérimentation. Il s’appuie sur un tiers espace de l’activité humaine et revendique à ce titre la pleine correspondance avec un tiers espace scientifique, notamment par la légitimation de la posture hybride de l’acteur-chercheur. Cela n’empêche pas le laboratoire social de négocier suivant les contextes un partenariat collaboratif pouvant valoriser la connaissance issue de l’expérimentation sociale et encourager l’innovation.
La création en 2009 du Laboratoire
d'Innovation Sociale par la Recherche-Action (LISRA[9]) sous
l’impulsion d’un travail d’acteurs-chercheurs en réseau animé par Hugues Bazin[10] correspond
à la volonté de mettre en lumière l’architecture fluide d’un tel processus
d’auto-fabrication en situation.
"Principes du laboratoire social" ©Recherche-Action.fr |
Le LISRA a contribué dans plusieurs régions à la mise en
place d’« ateliers publics d’auto-formation par la recherche-action »,
de sessions de rencontres appelées « journées interstices »
favorisant, entre déambulation physique et mentale, les croisements
transdisciplinaires et le partage sous différents supports des travaux des
participants, d’accompagner des expérimentations qui se sont intégrées ensuite
dans des logiques de développement.
Cette production de connaissance a nourri en 2010 et 2011 un séminaire à la Maison des Sciences de l’Homme Paris-Nord sous l’intitulé « pratiques des espaces et innovation sociale »[11].
Cette production de connaissance a nourri en 2010 et 2011 un séminaire à la Maison des Sciences de l’Homme Paris-Nord sous l’intitulé « pratiques des espaces et innovation sociale »[11].
Architecture fluide et principe d’architecture située
Nous proposons d’établir à partir du cadre méthodologique précédemment
exposé, une mise en correspondance entre tiers espace scientifique et tiers
espace architectural.
Le principe d’’architecture fluide conduit à une
redéfinition des paramètres d’expériences et un renouvellement des outils de
conception, notamment à travers un processus d’appropriation qui ne part pas du
cadre bâti, mais des matériaux (humains, matériels, technologiques,
environnementaux). Elle confirmerait la dimension vivante et créative de la
ville, de l’usage à sa conception, comme un espace architectural en mouvement.
Elle contribuerait à une écologie du tiers espace, à l’instar de ces tiers
paysages interstitiels ou encore non attribués susceptibles d’accueillir une diversité
d’acteurs et de dispositifs.
Les formes de la vie sociale ne sont pas rigides et déterminée de l’extérieur comme le démontre la recherche-action.
Les formes de la vie sociale ne sont pas rigides et déterminée de l’extérieur comme le démontre la recherche-action.
L’architecture fluide se conçoit alors comme un mode de
structuration spatial, scientifique et social instituant, mais non institué,
mobile, modulaire, adaptable, transposable et évolutif entre différents champs
de l’expérience correspondant à la capacité de créer des situations autonomes
s’appuyant sur des formes d’organisation souples. Ce point de vue induit un
changement radical de paradigme dans la manière de concevoir le travail sur les
espaces urbains où nous passons d’une « ingénierie de projet » à une
« maîtrise d’usage ».
Dans ce mouvement d’innovation par le bas, au
« rez-de-chaussée des villes », ce sont les usagers qui inventent des
services nouveaux à travers des nouvelles pratiques sociales.
L’usager citadin de simple utilisateur, devient co-concepteur des services urbains, compétences jusqu’à maintenant réservées aux autorités et aux professionnels de l’urbanisme.
L’usager citadin de simple utilisateur, devient co-concepteur des services urbains, compétences jusqu’à maintenant réservées aux autorités et aux professionnels de l’urbanisme.
Les communautés de pratiques n’ont plus besoin d’un projet imposé verticalement par un pouvoir techniciste, mais d’abord de se réunir dans les usages des espaces autour de formes d’implication et d’application telles que les processus de résilience et de reliance[12].
Peuvent ainsi être validés en situation des outils méthodologiques et conceptuels alimentant des réseaux de partage de connaissance « open source » propre à la culture numérique.
C’est « une architecture de l'Intelligence de la
Complexité » qui est de l’ordre du « déploiement plutôt que du
découpage »[13].
Ce qui permet de concevoir le rapport espace-temps dans l’articulation entre
mobilité spatiale, mentale et sociale au lieu de considérer ces mobilités comme
des « problèmes » séparés à traiter et par conséquent insolubles.
Ces espaces architecturaux en pli « instaurent une tension permanente entre le flux et le lieu. Les sites investis, les territoires marqués rejoignent de nouvelles manières d’habiter ou de vivre l’espace et encouragent de nouvelles expériences sociales »[14].
Ces espaces architecturaux en pli « instaurent une tension permanente entre le flux et le lieu. Les sites investis, les territoires marqués rejoignent de nouvelles manières d’habiter ou de vivre l’espace et encouragent de nouvelles expériences sociales »[14].
Où se logent ces espaces urbains hybrides qui favorisent la
mutation des pratiques et des lieux à partir d’un travail sur les
matériaux ? Les fab-labs[15]
et les tiers lieux[16]
en sont un exemple.
Déjà depuis plusieurs années, la culture numérique nous
enseigne que nous pouvons produire nous-mêmes les objets du quotidien,
concevoir une façon de travailler en collaboration. Si l’on peut produire soi-même son énergie, ses modes de
déplacement, ses outils, ses méthodologies, ses concepts, il n’est donc pas
déraisonnable d’imaginer que nous puissions de cette façon produire la ville à
l’image de l’écodéveloppement des circuits courts.
Finalement, les innovations
d’auto construction, d’auto fabrication, de transformation, de recyclage sont
réappropriées et ainsi se socialisent en répondant à la nécessité des situations
de pénurie ou de crise. Nous pourrions
tout autant citer l’architecture végétale des jardins partagés ou
l’autofabrication des « Zones à Défendre ».
Retrouver un pouvoir sur les objets répond aux besoins d’instaurer
une économie contributive. Développer un art de la pratique aboutit à de
nouvelles formes d’urbanité, à vouloir s’émanciper et à s’autoformer dans un
dialogue entre travail de la matière et travail de la culture. Expérimenter par
l’assemblage des matériaux, des idées, des compétences participe d’un
« art du bricolage »[17].
Les pratiques d’une culture populaire du bricolage souvent dévalorisée par la culture officielle académique peuvent être ici réhabilitées comme mode d’exploration et de transformation du réel.
Les pratiques d’une culture populaire du bricolage souvent dévalorisée par la culture officielle académique peuvent être ici réhabilitées comme mode d’exploration et de transformation du réel.
Un livre à mettre entre toutes les mains ... ©Etienne Delprat, Editions Alternatives |
Michel de Certeau[18]
avait déjà ouvert la voie à une reconnaissance des formes de détournement,
déviance, braconnage comme pratiques populaires d’une culture de la résistance
ou «dissidences récréatives »[19]
qui n’excluent pas le caractère ludique et le plaisir. Le
« bâtisseur » se distingue de l’architecte pour souligner que
l’architecture n’est pas simplement une réponse à un besoin fonctionnel.
Il s’agit d’affirmer la possibilité d’être auteur de sa propre vie et engager un dialogue avec le monde. C’est recentrer l’habiter dans ses dimensions anthropologiques, symboliques, culturelles et écologiques.
Il s’agit d’affirmer la possibilité d’être auteur de sa propre vie et engager un dialogue avec le monde. C’est recentrer l’habiter dans ses dimensions anthropologiques, symboliques, culturelles et écologiques.
En quoi les pratiques du bricolage peuvent être utiles à
redéfinir les rôles dans les re-configurations de nos univers bâtis ?
La réponse n’est pas simple, car « la prise en compte de l'aléatoire dans l'œuvre, le dialogue avec le matériau, l'absence de projet, l'utilisation des rebuts sont autant de notions propres au bricolage qui semblent étrangères au domaine de l'architecture »[20]. Ainsi, l'absence de structure prédéfinie et l'évolutivité constante s’apparentent à une hérésie technique. Il existe donc une tension entre la figure de l’architecte et du bricoleur, du technicien et du praticien, du savant et du populaire. Une nouvelle génération propose de dépasser cette opposition en utilisant par exemple le néologisme « bricolagisme »[21].
La réponse n’est pas simple, car « la prise en compte de l'aléatoire dans l'œuvre, le dialogue avec le matériau, l'absence de projet, l'utilisation des rebuts sont autant de notions propres au bricolage qui semblent étrangères au domaine de l'architecture »[20]. Ainsi, l'absence de structure prédéfinie et l'évolutivité constante s’apparentent à une hérésie technique. Il existe donc une tension entre la figure de l’architecte et du bricoleur, du technicien et du praticien, du savant et du populaire. Une nouvelle génération propose de dépasser cette opposition en utilisant par exemple le néologisme « bricolagisme »[21].
Libre, spontanée, sauvage, autodidacte, novatrice, éphémère,
iconoclaste, hasardeuse, primaire et bien souvent considérée comme marginale [22] l’architecture
du bricoleur n’est finalement que la mise en concept et en pratique d’une
évolution que l’on observe tous les jours et qui invite le métier d’architecte à
se réinventer.
« De nouvelles exigences de démocratie participative interrogent le projet en architecture pour prendre en charge les nouvelles données de notre environnement contemporain à travers une réévaluation de la transformation, du recyclage...du bricolage en somme »[23].
« De nouvelles exigences de démocratie participative interrogent le projet en architecture pour prendre en charge les nouvelles données de notre environnement contemporain à travers une réévaluation de la transformation, du recyclage...du bricolage en somme »[23].
L’implication des habitants et des usagers dans la « fabrication
de la ville »[24] reste
toujours une question en suspens, souvent invoquée, mais rarement appliquée
dans un renversement de la logique verticale du triangle opérationnel élu
(maîtrise d’ouvrage), technicien (maîtrise d’œuvre), usagers (maîtrise
d’usage).
Un urbanisme « en situation » ou « architecture située »[25] interroge
inévitablement dans un contexte multi-acteurs les modes hiérarchiques de
gouvernance, de production de connaissance et la conception fonctionnaliste d’un
projet.
[1]
La tradition positiviste à l’instar des sciences naturelles, pense que le monde
social est soumis à des lois impersonnelles qu'on doit pouvoir découvrir par
des méthodes scientifiques sans entrer dans le jeu des interactions humaines et
de leurs interprétations. L'homme, les faits sociaux sont considérés comme des objets
d'une science « objective ».
[2]
Edgar Morin, La méthode 6
"Éthique", Pairs, Éditions du Seuil, coll Points Essais, 2006 .
[3]
L’intelligence sociale se traduit par la capacité à créer du lien : la
compréhension collective d’une situation et la résolution d’un problème
nécessitent des liens inédits entre les éléments hétérogènes d’un contexte. C’est
une conjugaison de stratégies, de concepts, d’idées entre la recombinaison
d’éléments existants et la recherche de modèles alternatifs. Elle participe à
des formes écosystémiques remédiant au manque de moyens ou de reconnaissance.
Elle contribue au capital social des « personnes sans capital ».
[4]
Selon la pensée complexe, à l’image du fil et de la tapisserie « le tout
est dans la partie qui est dans le tout. Un tout est plus que la somme des
parties qui la constituent». Cette approche permet d’accéder au réel dans sa
totalité et dans son évolution. C’est un système ouvert qui intègre les notions
de crise, de désordre, d'auto organisation, de hasard, d'incertitude.
[5]
Christian Hermelin, L'acora (atelier
coopératif de recherche-action), construction collective de savoirs d'acteurs
en société, Paris, L’Harmattan, (Coll Recherche-action en pratiques sociales),
2009.
[6]
Pierre-Marie Mesnier, Philippe Missotte, La
recherche-action, une autre manière de chercher, se former, transformer,
Paris, L’Harmattan, (Coll Recherche-action en pratiques sociales), 2004, p14.
[7]
David Kolb, Experiential learning: Experience
as the source of learning and development, Englewood Cliffs New.Jersev,
Prentice Hall, 1984.
[8]
Il s’agit de définir une situation idéal-type qui permet de se projeter et
faire évoluer la situation initiale (A), celle que l’on vit actuellement vers
une situation intermédiaire (B), celle que l’on va expérimenter. Passer à la
situation B, la mesure de l’écart entre A et B en fonction de l’ideal-type
permet d’affiner l’outillage d’évaluation et de problématiser les enjeux modifiant
l’idéal-type. Un nouveau cycle A’ vers B’ peut alors s’engager et l’idéal-type
devient un référentiel permettant de diffuser publiquement les acquis de
l’expérimentation. Nous avons procédé de cette manière avec un groupe
d’intervenants artistiques à partir de la situation de l’atelier-résidence.
Cela a permis de problématiser les conditions d’entrées (commande) et de sortie
(production) de l’atelier résidence ainsi que de comprendre comme il pourrait
constituer un écosystème basé sur un art du bricolage (idéal-type).
[9]
http://recherche-action.fr/labo-social/
[10]
Hugues BAZIN, Espaces populaires de
création culturelle : enjeux d’une recherche- action situationnelle, Paris,
Éditions de l’INJEP, Revue Cahiers de l’action, 2006.
[11]
Les actes des rencontres du LISRA sont en téléchargement sur http://recherche-action.fr/ressources/docs-en-telechargement
[12]
La « résilience » décrit un acte de reconstruction en utilisant ses
propres ressources situationnelles, une capacité à rebondir et prendre
confiance. La « reliance » décrit la capacité à faire des liens qui
dépasse l’addition des éléments isolés pour rejoindre un système complexe et
enrichir un capital social. Nous faisons par exemple référence au projet
« R-urbain » animé par l'Association des Architectes Autogérés dans
une ville de la banlieue parisienne qui est une expérimentation globale mêlant
agriculture urbaine, économie sociale et solidaire, culture locale et réflexion
sur l’habitat, dans une logique de création de réseaux locaux et de circuits
courts. Il s'agit donc de partage de ressources (matériaux de fabrication,
jardins partagés, énergie) par la création dans des espaces non attribués de
nouveaux dispositifs e équipements.
[13]
Jean-Louis Le Moigne, Edgar Morin, L'intelligence
de la complexité, Paris, Harmattan, 1999, p.18.
[14]
Patrick Barrès, « L’espace architectural en pli. Pratiques du lieu et du flux
», Communication et organisation, 32
| 2007, p.52-63.
[15]
Un fab-lab (abréviation de Fabrication
laboratory ou atelier de fabrication)
est une plate-forme ouverte de création et de prototypage d’objets physiques,
« intelligents » ou non. Il s’adresse aux entrepreneurs, concepteurs,
designers, artistes et tous bricoleurs qui veulent passer plus vite du concept
au prototype ; désireux d’expérimenter et d’enrichir leurs connaissances en matière
de pratique numériques. Les Fab-Labs sont conçus comme une ressource
communautaire en libre accès. Ils se reconnaissent dans une charte commune dans
le cadre d‘un réseau international.
[16]
« La Troisième Place » ou « Tiers Lieux » est un terme
traduit de l'anglais « The Third Place » (Ray Oldenburg , The Great Good Place, New York, Marlowe
& Company, 1991). Il fait référence aux environnements sociaux se
distinguant de la maison et du travail selon des règles d’une spécialisation non-exclusive.
Cet entre-deux libre, « ouvert en bas de chez soi », permet
d’accueillir une diversité selon une logique de travail collaboratif nomade
(« coworking ») augmenté par l’appropriation des outils numériques.
Les tiers lieux ont leur manifeste (http://movilab.org/index.php?title=Le_manifeste_des_Tiers_Lieux)
[17]
Hugues Bazin, « Art du bricolage, bricoleurs d’art », Les cahiers d’Artes, L’art à
l’épreuve du social, Presses Universitaires de Bordeaux, 2013, p. 95-113.
[18]
Michel De Certeau, (1re éd. 1980) L’Invention
du quotidien, tomes 1&2, Paris, Gallimard, 1990.
[19]
Florian Lebreton et Philippe Bourdeau, Les
dissidences récréatives en nature : entre jeu et transgression, EspacesTemps.net,
Travaux, 2013.
[20]
Marielle Magliozzi, Art brut,
architectures marginales : un art du bricolage, Paris, L’Harmattan, 2008,
p.14.
[21]
Entre architecture « savante » et « sauvage » le « bricolagisme »
se revendique comme une posture éthique et critique de l’architecture
contemporaine : Baptiste Clouzeau, Bricolagisme
ou le bricolage en architecture. Des pratiques marginales peuvent-elles amener
à une transformation du métier, mémoire
de recherche, École Nationale Supérieure d'Architecture, Lyon, 2013.
[22]
Dans cette déconstruction de l'acte architectural, des mouvements revendiquent
une « anarchitecture » qui renverse les règles de constructions et en prend le
contre-pied, une architecture rebours comme Gordon Matta-Clark (1943-1978) qui
se base sur un art radical du détournement.
[23]
Jérôme Gueneau, « Espèces d’espaces, de l’architecte, du
bricoleur... », Actes des 3èmes
journées doctorales de l’Institut Interdisciplinaire d’Anthropologie du
Contemporain, EHESS, 2012, p140.
[24]
Véronique Biau, Michael Fenker, Élise Macaire , s/ dir, L’implication des habitants dans la fabrication de la ville. Métiers et
pratiques en question, Paris, Éditions de la Villette, Cahiers Ramau n°6,
Paris, 2013.
[25]
Jean-Paul Loubes, Traité d’Architecture
Sauvage. Manifeste pour une architecture située, Paris, Éditions du
Sextant, 2010.